Article paru sur l'écoute active selon Thomas Gordon
NVA 319 pages 13-14 | oct. 2011
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Pionnier de la psychologie humaniste, Thomas Gordon constate que les personnes qui viennent le consulter ne souffrent pas nécessairement de problèmes psychologiques mais plutôt d’un manque de communication. Ils manifestent notamment un profond besoin d’être écoutés. Tout comme le thérapeute Carl Rogers (dont il fut l'élève), l’avait constaté avant lui, il note que l’écoute attentive et bienveillante qu’il porte à ses patients leur permet de modifier leur façon d’être et de communiquer. Ils parviennent alors à établir des relations plus harmonieuses avec leurs proches.
Fort de ce constat, Thomas Gordon va s’appuyer sur les savoir-faire qu’il utilise en consultation pour développer une méthode de communication destinées à aider les parents à résoudre eux-mêmes les conflits au sein de leur famille. La formation qu’il propose aux parents sera ensuite adaptée au public des enseignants, des médecins, des vendeurs et des managers. Son objectif est de rendre sa méthode accessible à tous à l’aide d’outils de communication concrets.
L’écoute est l’un des piliers de sa méthode. Il distingue deux types d’écoute : l’écoute silencieuse et l’écoute active. La première se manifeste par l’expression du visage, le regard et tout le langage corporel. Le visage ouvert, le regard attentif, le buste tourné et penché vers l’interlocuteur, les bras détendus, la tête inclinée vers lui et les signes d’acquiescements sont autant de signes non-verbaux qui sont fondamentaux dans notre communication. Ils témoignent de notre attention à ce que l’autre nous dit. Ils l’encouragent à s’exprimer et suffisent dans certains cas à lui donner le sentiment d’être écouté et compris. Le silence est particulièrement précieux pour celui qui a besoin d’un temps pour poser ses idées, parler de ses préoccupations, exprimer ses ressentis, ses opinions et se libérer du poids de ses émotions. Il offre également un espace de réflexion pour résoudre un problème ou prendre une décision. Montrer par son attitude non-verbale que l’on écoute attentivement, sans jugement ni évaluation est essentiel pour établir une relation de confiance avec son interlocuteur. Ce principe vaut pour tous les êtres humains… et ce dès le plus jeune âge !
Si elle reste essentielle, l’écoute silencieuse ne suffit cependant pas toujours à mettre en confiance. Il arrive en effet que l’interlocuteur ait besoin de s’assurer qu’il a bien été compris pour continuer à se confier, en particulier lorsqu’il vit une situation qui lui pose problème. Il convient dans ce cas d’utiliser l’écoute active. Plus que le silence, l’écoute active consiste à se centrer sur l’autre en accueillant ce qu’il dit, en l’aidant à mettre des mots sur ce qu’il ressent, en définissant ce dont il a besoin, sans le juger, le rassurer, le conseiller ou lui apporter de solution. L’écoute active consiste en somme à aider la personne à identifier son problème et à l’accompagner dans la recherche de sa propre solution. Exemple d’un dialogue entre une sage-femme et une jeune maman préoccupée:
La maman : « Vous m’avez dit que mon bébé va bien, même s’il est un peu déphasé, mais tout de même, c’est ennuyeux de le voir pleurnicher si souvent ! C’est comme ça dès qu’il se réveille. Mon premier enfant était beaucoup plus calme… »
La sage-femme : « C’est différent avec le deuxième et ça vous irrite… ça vous inquiète un peu aussi, non ? »
La maman : « Oh oui, je n’aimerais pas avoir un bébé nerveux, ou qui pleure trop, je ne saurais pas m’y prendre… je n’aime pas entendre les gens pleurer… surtout les petits… »
La sage-femme : « Vous redoutez de ne pas être à la hauteur face à ça, que ça risque d’être difficile pour vous ».
La maman : « Ben, c’est vrai que ça met mal à l’aise, j’ai envie de faire quelque chose pour que ça aille mieux et je ne sais pas quoi faire… »
La sage-femme : « Vous êtes touchée à ce moment là et vous vous sentez démunie. »
La maman : « Tout à fait, je sais plus comment réagir parce que ça me fait de la peine… mais encore, je pourrai peut-être me débrouiller… il suffit d’un peu plus de patience que d’habitude, je vais m’y faire… faut juste que je me laisse pas aller à être triste à mon tour… ça sert à rien ».
La sage-femme : « Vous vous dites que finalement vous réussirez à vous occuper de ce bébé, si vous ne vous laissez pas gagner par l’émotion… »
La maman : « Oui, c’est quand je suis fatiguée que ça me fait ça, mais avec ma fille aînée, c’est arrivé aussi, et je m’en suis bien sortie… Pour moi, ça ira… mais, en fait, il n’y a pas que moi : j’ai surtout des craintes pour mon mari, il ne supporte pas les pleurs de bébé, car il est lui-même très nerveux, ça va pas être facile à la maison ».
La sage-femme : « Vous appréhendez ses réactions… »
La maman : « Oh oui, il réagit très mal, surtout la nuit. Heureusement que la première a été plutôt calme, et qu’il était content d’avoir un enfant à ce moment là… mais ce n’est plus pareil aujourd’hui ».
La sage-femme : « Vous avez l’impression que la situation a changé, que cet enfant risque d’être moins bien accueilli… »
La maman (larmes aux yeux) : « Je crois bien qu’il ne va pas être accepté du tout, il me le reproche depuis ma grossesse : il ne voulait pas un deuxième, et je n’aurais pas dû insister… »
La sage-femme : « Il ne l’a pas désiré, et vous en êtes malheureuse… »
La maman : « J’ai eu tort… et en plus, un bébé qui pleure beaucoup, ça va être pire, ça va l’agacer bien plus ! Je vais le payer très cher, on dirait que c’est fait exprès, c’est bien fait pour moi… »
La sage-femme : « Vous avez des regrets, et aussi le sentiment que le sort s’acharne contre vous. »
La maman : « C’est vrai, c’est une malchance… mais moi, je voulais vraiment un deuxième, et maintenant il est là, le pauvre, c’est pas de sa faute, je veux pas qu’il en souffre ».
La sage-femme : « Vous l’aimez votre bébé… il est sensible et peut-être aussi réceptif à votre inquiétude, vous sentez encore plus le besoin de le protéger… »
La maman (elle sourit et se lève pour aller vers le berceau): «Oui, je ferai ce qu’il faut… ça va aller…
L’écoute attentive de la sage-femme permet à cette jeune maman désemparée de dérouler en toute confiance le fil de sa pensée et d’identifier ce qui la préoccupe vraiment. Tel un oignon que l’on épluche, les différents niveaux du problème apparaissent couche après couche révélant au final la véritable cause de son inquiétude. Accueillie dans ce qu’elle exprime, comprise et respectée dans ce qu’elle ressent, la jeune femme se libère progressivement du poids de ses émotions et reprend peu à peu confiance en elle. L’écoutante n’émet aucun jugement et ne cherche pas non plus à donner de solution. Par son attitude bienveillante et la justesse de ses reformulations, elle permet à cette maman de mieux cerner son problème et d’aller puiser dans ses ressources pour faire face à la situation.
Pour la plupart d’entre nous pratiquer ce type d’écoute n’est pas naturel. Dans une telle situation, nous serions volontiers tentés de conseiller, de sermonner, de raisonner, de rassurer, d’argumenter et surtout d’apporter une solution ! Autant de réactions extrêmement courantes que Thomas Gordon a identifiées comme étant parfois des obstacles ou des freins au dialogue. En tentant de la rassurer avec une phrase comme « allons ne vous en faîtes pas, vous allez vous en sortir » ou en lui faisant la morale : « vous ne devriez pas comparer vos enfants. Chaque enfant est différent… », la jeune mère aurait pu se sentir incomprise ou jugée et refermer le dialogue aussitôt.
Employée avec les enfants (des tout petits aux adolescents), l’écoute est un moyen puissant de les aider à développer leur créativité, leur sens des responsabilités et leur autonomie. Par exemple, face à un enfant maussade (signe non-verbal de son malaise) qui se sent triste et seul (ressenti), qui aimerait s’intégrer à un groupe de copains (besoin d’appartenance) et ne sait pas comment s’y prendre, l’écoute active sera très utile pour l’accompagner dans la recherche de ses propres solutions. Une fois le problème clairement défini, l’écoutant peut inviter l’enfant à chercher ce qu’il pourrait faire pour satisfaire son besoin. Il est important de laisser l’enfant énoncer toutes les solutions qui lui viennent à l’esprit, sans les évaluer. Même les plus farfelues et les plus irréalisables. Il n’y a pas mieux pour encourager la créativité ! A lui ensuite de choisir la solution qui lui convient (l’accompagnant peut évidemment intervenir si la solution choisie lui semble dangereuse ou inappropriée). Pour les adultes comme pour les enfants, résoudre soi-même ses problèmes renforce l’estime et la confiance en soi. Aider l’enfant à mettre des mots sur ce qu’il ressent lui permet également de développer une meilleure connaissance de ses émotions et une plus grande capacité à oser les exprimer.
Pour la plupart d’entre nous, « écouter activement » est une réponse nouvelle et inhabituelle. C’est un savoir-faire qui requiert du temps, de la disponibilité, de la confiance et de l’entrainement !"
Delphine Bardon - NVA 319 pages 13 et 14 - Octobre 2011